lundi 11 mai 2009

L'Affreux. (1)

J'ai passé six ans avec l'Affreux. Six longues années, et trois de bonheur. Je l'ai connue très jeune, trop jeune. A le dernière période de ma vie où j'aurai dû m'engager. Un ami commun nous a présentés et essayait de me mettre dans son lit trois mois après.
Ce n'était pas censé durer, à 16 ans, ça ne dure jamais. Il ne voulait pas sortir avec moi initialement d'ailleurs. J'aurai dû faire demi-tour tant qu'il était encore temps. Et puis, les choses trainant, on est devenu un petit couple amoureux, à se promettre de s'épouser quand j'aurai fini mes études. Miaou.
2 ans plus tard, il m'a suivi d'ailleurs dans la ville où j'ai étudié. Concours passé, on a emménagé ensemble. C'était ma motivation, et ma récompense d'une première année torchée en un an. L'amour fou a duré quelques mois de plus. La routine s'est installée, solidement. Les choses se sont vite gâtées, un cumul de fautes des deux côtés. En deuxième année de médecine, on sort, on fait la fête plus qu'on ne travaille. Je suis restée sagement à la maison, à faire du repassage, et à m'occuper de mon homme en remerciement de son soutien précédent. J'ai payé ce soutien pendant 3 ans. C'était un peu normal, en soi, mais ça a pris des proportions démesurées. Au bout de quelques années, j'ai été présentée à sa famille, où j'ai été initialement accueillie à bras ouverts. Sa famille était très unie, très traditionnelle, et m'apportait un peu le genre de contexte familial que j'ai toujours souhaité, et jamais eu. Le problème, est qu'il a fallu que je prenne la vie de sa mère dans notre couple. Etre la compagne parfaite en toutes circonstances, faire bonne impression, ne montrer aucune faille. Je suis devenue Bree Van de Kamp. Je lui faisais des gâteaux pour qu'il les amène au boulot, je le ramenais bourré de soirée, je me faisais sagement engueuler quand j'avais pas repassé mon quota hebdomadaire de chemises, quand il rentrait et que tout n'était pas prêt, à la moindre brèche, je prenais ma dose. Cette routine n'avait rien de ce que j'avais espéré. Il avait fait de moi la remplacante de sa mère, à laquelle il pouvait autant en faire baver, et cette routine là lui convenait par contre parfaitement. Il en a abusé à loisir, il s'est brûlé.
Bien sûr au début ce n'était que les engueulades classiques qu'on les couples qui durent. Jamais je n'aurai à l'époque imaginé tomber si bas. Je gueulais aussi fort que je savais le faire, et ce n'est pas peu dire. Très vite, les choses ont changé, car l'aplomb était de son côté.
Un soir, j'étais invitée à manger chez ses parents, je suis arrivée une demie heure en retard, j'étais restée avec mon beau-père, à discuter, je ne le voyais que trop peu quand il faisait le déplacement hebdomadaire pour sa chimio. Aujourd'hui encore, je ne sais pas poser une VVC, je pose mes VVP en en foutant partout. A l'époque, je pouvais placer et retirer son Oliclinomel sur le grip du port-à-cath, débrancher sa chimio ambulatoire le vendredi en arrivant, rincer le PAC correctement, et demander le TNM au cancérologue. Je voulais juste un peu de temps, banalement. Je suis arrivée donc en retard. Tout le monde s'en foutait, sauf lui. J'ai eu beau m'excuser, je me suis entendu dire que ce n'est pas rester avec mon père qui le ferait aller mieux, et que par contre je dérangeais toute une famille où j'étais gentillement accueillie. Cette soirée résume six ans avec l'Affreux. C'était la première fois depuis des semaines où je pouvais passer du temps avec mon beau-père, sans me jeter sur la NFS, sa consommation d'Actiskénan et de Nutrimel, et ses comptes rendus de consultation. Et pour ça, je me suis excusée, platement. Comme toujours. Sincèrement.
Je me suis refermée comme une huitre, au propre comme au figuré, je n'ai plus supporté qu'il me touche. Je ne voulais pas me séparer de lui, j'avais besoin de quelqu'un qui soit là, j'avais besoin de stabilité. Mais je n'en pouvais pas plus de ces éclats, de ses réactions démesurées et injustifiées, et injustifiables. A partager un lit tous les soirs, on ne peut pas dire non tous les soirs. Au début, on refuse, et puis on dit oui et le corps suit un peu, puis on dit non, puis on dit oui et le corps dit non. Trainée de gynécologue en gynécologue pour savoir ce qui n'allait pas chez moi, alors qu'il était le seul à se poser la question. Une bonne dizaine de traitements, comme si à mon âge je pouvais avoir besoin d'œstrogènes locaux. Quand on vous humilie tous les jours, devant tout le monde, en répétant qu'on partage sa vie avec une écervelée trop jeune, trop affective, trop démonstrative, trop bruyante, en vous engueulant au quotidien, pour tout, absolument tout, la cuisson des pâtes, le ménage, le sexe, et qu'on encaisse paisiblement, on ne peut plus faire semblant. Le pire reste encore quand l'autre en face se foute pas mal que vous et votre corps disiez non. Peu importe, en insistant, en contenant, physiquement rien n'est impossible. Et pour après, quelques plates excuses et un prétexte d'incompréhension suffiront. Douloureux, physiquement et cérébralement, peu importe, le couple veut historiquement qu'il y ait intimité, et l'intimité s'impose froidement à toi. Pleurer en faisant l'amour ça devrait être réservé aux deux minutes de plaisir après l'orgasme, pas pendant. La contention, ce n'est bon que mis en scène.
Du chantage, quotidien, matériel et psychologique. Sur la première année, sur sa présence ponctuelle au décès de mon père, malgré ses reproches sur mon deuil, sur son omniprésence financière pour deux pendant mes études, sur le fait qu'à part lui, personne n'était là pour moi, et que seule, je ne suis capable de rien. Le pire étant que tout ça était vrai.
J'ai accepté plus que je n'aurai jamais cru. C'est la méchanceté qui nous a achevé. Je peux comprendre qu'on ait des traits de caractères marqués. Je ne conçois pas la méchanceté gratuite, complaisante, facile et spontanée. Il était fier de me tenir par les cheveux, au propre et au figuré, de faire de moi sa plante verte en société, de se moquer du fait que je sois mal à l'aise quand on me critique en ma présence. Il a aujourd'hui tout à loisir de me décrier à temps complet.

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