mardi 9 juin 2009

Certificat de décès

Je travaille dans l'endroit où on a le plus de risque de mourir. A l'hôpital. Le plus grand regroupement quotidien de décès.
On se rappelle tous de notre premier décès. Elle avait à peine 20 ans, et la brutalité de la réa m'avait estomaquée. Les autres nous marquent par les contextes plus que le trait sur le scope et le bip strident.
Aujourd'hui nouveau stage. En chirurgie urgente, on y va rarement en touriste. Et quand on a ASA 5 sur sa feuille d'anesthésie, encore moins. Avec un anévrysme fissuré, à 80 ans, on commence sérieusement to feel like home, accueilli à bras ouverts dans un lit tout confort, entouré de plein de machines qui sonnent. Alors ce patient, je ne le connaissais pas. J'ai écouté ce qu'on m'en disait, qu'il allait mourir d'une minute à l'autre et effectivement, y'avait rien de rien à faire.
Quelqu'un qui meurt à l'hôpital, ça n'a rien de ce qu'on imagine. De la même manière que quand on choque quelqu'un, il ne décolle jamais de la table. Non, il reste immobile. Bref. Les gens ne sont pas agonisants de la manière dont on les imagine, et ils ne rendent pas un tout dernier souffle bien identifiable. La ligne rouge n'est pas si nette. On découvre un peu le thorax, on regarde si ça respire encore, on prend le pouls pour voir si ce qu'on voit à l'écran n'est pas juste un artéfact. C'est inimaginablement long. Plusieurs dizaines de minutes parfois, à surveiller un patient mourir. Ce qui n'empêche absolument pas que tout cela se fasse avec beaucoup de dignité.
Et puis on n'annonce pas l'heure du décès à haute voix. On ne "prononce" pas les décès d'ailleurs.
On les certifie. Sur papier. Plus tard. Quand on aura le temps de remplir le papier.

Donc ce matin, ce patient, mourrait comme tant d'autres. On n'y est jamais insensibles, mais on y devient habitués. Je ne connaissais pas son histoire, je ne lui avais jamais parlé. C'était un vieux monsieur mal en point qui le portait sur son visage au teint gris pré-mortem. Oui, les gens qui meurent, ils ont mauvaise mine à la seconde où ils meurent, mais même avant. Les morts, ce n'est pas beau avant la thanatopraxie.
Une fois qu'il nous avait mis tous d'accord sur le fait qu'il était bel et bien définitivement mort (de façon réelle et constante comme dit le certificat), on a tous fait le point sur le pourquoi du comment. Notre revue de morbi-mortalité dans le couloir, quoi. Anévrysme, clampage, Rhabdomyolyse, Potassium, etc... Effectivement, la fin est simple.

Papotage de chirurgiens et d'anesthésistes, discret renvoyage de baballes. Au final, on finit par reparler du début de l'histoire. Celle d'un patient entré il y a deux semaines au moins, pour une banalité, et hospitalisé en Médecine pour un bilan d'altération franche de l'état général.

Et soudain, mon monde s'est écroulé.

Ce patient, je l'ai examiné il y a deux semaines aux Urgences. J'ai écouté son histoire, je l'ai trouvé touchant, attachant, et j'ai fait de mon mieux je crois, de mon petit statut d'externe, bien qu'autonomisée. Je l'ai rassuré, lui ai assuré qu'il ne passerait pas le reste de ses jours à l'hôpital. Je l'ai pris en charge du début à la fin. Je me suis battue pour lui trouver sa place. J'ai posé plusieurs fois mes mains consciencieuses sur son ventre, et je n'ai rien senti. Ce patient, ni pour moi, ni pour les chefs, ni pour personne, il ne ressemblait au gros et gras fumeur qui a bien la tête à avoir un anévrysme qui va te claquer dans la semaine.

Ce patient, je suis rentrée dans sa chambre et je l'ai regardé avec mes yeux ignares, mourir. Je ne l'avais même pas reconnu.

2 commentaires:

  1. (trop) émouvant (pour moi)

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  2. j'appréhende ou peut être fantasme ce moment depuis qu'à mes côtés, une matinée de juillet, la veille de mes 21 ans, déjà 10 ans cet été, au volant de sa voiture, je n'entende, sans prévenir, son dernier souffle.

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