dimanche 19 avril 2009

Vie parentale

Je n'ai jamais vu mes parents s'engueuler. Par parents, j'entends ma mère et mon beau-père. Plus de quinze ans à s'aimer, presque dix ans de vie commune, à peine cinq de légitimité.

Je n'ai jamais entendu de cris, de piques acerbes, de critiques. Même détournées. Pas de reproches, ou jamais sérieux. Si, en fait il y en avait, de la part de mon père, quelques piques pour pousser ma mère à aller chez le coiffeur et s'acheter des fringues, en la surnommant "As de Pique". DIeu sait que ma mère n'est pas quelqu'un de soigné, c'est peu dire. Au final, elle n'y allait pas, et il revenait avec 3000 euros de fringues qu'elle essayait à la maison, pour faire son choix, et ramenait quasiment tout à la boutique.

Il était du genre à lui faire livrer des fleurs à l'autre bout de la France le jour de sa fête, à appeler dix fois par jour pour savoir ce qu'elle faisait. Comme c'était toujours moi qui décrochait, ça donnait : "Allô?" "Oui...(d'une voix ultragrave et très lointaine)" "Mamaaaaaan!!!!"
Du genre à laisser des mots glissés sous ses essuie-glaces. Du genre à l'emmener partout avec lui, à l'incruster dans ses repas d'affaires. L'avoir rencontrée, c'était sa récréation perpétuelle à lui.

A 50 ans passés, mes parents étaient de grands enfants. Du genre à faire stresser les enfants pour eux. Du genre à me faire passer ma conduite accompagnée pour prendre un verre de plus à l'apéro. Du genre à rentrer plus tard et plus éméchés que moi quand j'ai eu le droit de sortir, à faire plus la fête que moi pour peu. Je me suis toujours dit qu'un jour j'irai en chercher un au poste pour conduite en état d'ivresse. Heureusement ma mère a toujours sa carte de fonctionnaire de justice dans son permis. Ca a servi quand ça marchait encore. Quinze ans à s'aimer, et toujours la même intimité, souvent j'ai entendu mon père se lever quelques heures après être allé se coucher pour se désaltérer, et ma mère filer sous la douche. A l'époque je me disais que c'était pas normal de faire encore autant l'amour après tout ce temps. Aujourd'hui j'ai compris que c'était une chance qui n'a pas de prix.

Ma mère a subi douloureusement (et ce fut une joie) ma violente crise d'adolescence, à base de "vous n'êtes que des cons, vous m'empêchez de vivre la vie que je dois mener". Un régal d'adolescente perturbée. Ca finissait en cris jamais égalés, et insultes bilatérales, en exaspération de ma mère de comment sa fille pouvait être aussi insupportable, ingérable et tracassée, et pourtant parfaite au lycée. Son plus grand tort est d'avoir tout négocié à base de notes. A ce jeu, j'ai gagné. Au final, mon père finissait par venir me parler au bout de trois jours sans un mot et concluait le tout par "t'es qu'une petite conne, mais c'est de ton âge, allez va t'excuser" Putain, le con, il arrivait à ses fins, je m'excusais. Sans lui, j'aurai demandé mon émancipation je crois. Je ne l'aurai jamais eu hein, entendons nous bien.

Mon père a subi mes reproches. Je ne regrette aucun de ceux que j'ai faits. Je crois que lui non plus, même s'il ne savait pas quoi me répondre. Mon incompréhension, trop jeune pour entendre que ma mère avait une vie amoureuse. Mes insultes dès le départ quand j'ai su qu'il était marrié. Mes menaces de tout révéler. Mes crises pour lui dire qu'il ne serait jamais ici en terrain conquis. Mon incompréhension de son immobilisme s'il aimait tant ma mère. Il ne me venait pas à l'idée que ça convenait à tout le monde. Et puis un jour il a divorcé, s'est installé avec nous. Il était dans une maison où je ne le voulais pas. Il était chez moi, prenait trop de place entre moi et ma mère, même si on se haïssait. Ma place à moi m'était dûe, légitime, alimentaire.

Ma mère non plus n'a pas été facilement accueillie par ses enfants à lui, bien que plus vieux et donc plus civilisés. Il n'y avait plus d'amour dans son premier mariage, mais elle restait la briseuse de ménage. Un deuil et deux petits enfants plus tard, les liens sont plus forts.

Mes parents s'aimaient, plus que tout. D'un amour d'adolescents. Sans démonstration. C'est d'autant plus facile qu'il n'est plus là. Les amours tristes sont les plus beaux il faut croire.

1 commentaire:

  1. j'adore ce texte et me dire que dans une douzaine d'années j'aurai peut-être droit à cela avec ma fille :o)

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